Saturday, August 28, 2010

Quelques notes de lecture du "Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne", par Michel Onfray. Grasset, 2010.



Le freudisme prétend, c’est vrai, englober, avec sa méthode, toute l’histoire humaine, découvrir la cause des causes du psychisme. À partir d’un épisode du théâtre antique, la chose s’est gonflée pour remplir la ville ; une partie veut avaler le tout… un cercle d’initiés est devenu un puissant parti.
Dans l’histoire du peuple juif Freud s’intéressait (s’est intéressé), sa vie durant, à Moïse ; dans son livre (posthume…) Moïse et le monothéisme il est entré en compétition directe avec le grand guide. Freud cherche à le détrôner et se range, dirait-on, du côté des prêtres égyptiens qui sont les adversaires de Moïse lors de la fameuse compétition sur l’ordre de pharaon ; la victoire de Moïse sera récompensée par l’autorisation donnée au peuple de quitter une captivité longue de quatre siècles. (Exode 7 ; 8 et la suite).

Il y a plusieurs Moïses : l’un, celui de la réflexion de Freud ; un autre, le « Moïse biblique », l’un des moteurs de l’Histoire, et non pas seulement juive ; encore un « Moïse mythique », celui des chercheurs laïques ; un Moïse de Michel-Ange, image généralisée d’un vieillard puissant… etc. Ce sont des facéties d’un phénomène mystérieux nommé « Moïse »… qui dépasse Freud et Onfray car les deux philosophes ne peuvent pas « être partout », en Egypte et à l’époque des pharaons, dans la France juive ou catholique, et la France universitaire… Ils n’ont qu’un point de belle vue, à contempler un secteur des connaissances humaines… qui ne sont pas nécessairement « scientifiques »…

Onfray oppose, à plusieurs reprises, la Science à la méthode de Freud qui n’est pas scientifique, certes, et dont une critique radicale et moqueuse a été avancée par Wittgenstein aux années quarante ; il ne dit pas, cependant, que la science n’est monolithique, quant à sa méthode : il y a une approche classique, cartésienne, quand une théorie, une fois proposée, est ensuite vérifiable par expérimentation : ainsi fonctionne la physique, la chimie… les sciences dites naturelles.

À côté de cette méthode scientifique pur et sûr, Onfray pose une théorie qui est un peu différente, celle de Darwin ; elle procède d’une autre façon : n’ayant pas d’axiomes d’où sort tout l’édifice, elle réunit beaucoup d’observations et les couvre d’une idée généralisante, d’une hypothèse satisfaisante par rapport aux faits observés ; la théorie de Darwin paraît convaincante mais attention ! elle ne peut pas être vérifiée formellement par expérimentation.

D’ailleurs, la physique qui est restée si longtemps un exemple de science vérifiable par l’expériment, nous propose aujourd’hui des notions et des hypothèses fortes et impressionnantes, comme le « Big Bang ». Cette hypothèse, non vérifiée et probablement à jamais invérifiable, est entrée cependant dans la culture au titre d’un postulat scientifique à prouver et y fonctionne comme une vérité possible : notre vision du monde la prend en compte ; elle influence notre psychisme ; en fait, c’est un mythe – mais vivant, « fondé », « raisonnable et raisonné » tout comme « Moïse » dans le passé et encore de nos jours pour la multitude des croyants. Nous vivons dans cette mythologie actuelle, réelle, fonctionnelle… scientifique.

L’opposition « science – mythe » qui est l’un des leitmotivs du livre, en réalité n’est pas absolue. Car nous vivons avec des connaissances qui ne sont scientifiques qu’en partie… Nos théories scientifiques prennent leur place, énorme mais limitée, dans une vision du monde qui veut qui se veut étanche contre toute inquiétude de ne pas savoir ou de ne pas prévoir : si la science n’a pas dit son mot sur quelque chose de vital, la poésie, l’horoscope ou ma grande mère le diront.
Une théorie doit être complète et non contradictoire par rapport aux phénomènes qu’elle décrit ; elle doit être économe et belle. En pratique, pour s’installer dans la science contemporaine et dans la culture aussi, elle se crée une « masse », un poids et s’accompagne d’une sorte de stratégie d’imposition ; elle prépare un « lieu » dans la conscience du lecteur et y infuse sa conviction, sa logique d’agencement des arguments.

Onfray est souvent convaincant. Son livre en soi est aussi un symptôme de la flétrissure du freudisme classique quoique ce dernier persistera car rien ne disparaît dans l’humanité qui est un organisme vivant et se renouvelant, et en même temps… son propre musée.

Certaines parties du mythe freudien sont savoureusement et utilement démantelées dans le livre de Onfray. Les cas de Cinq psychanalyses, dont « l’Homme aux loups », « le Président Schreber » etc., ces premiers chapitres du manuel freudien, sont, selon Onfray, des faux, sur lesquels sera bâtie cependant une gigantesque « machine à sous », la psychanalyse… Personnellement, j’ai lu et je croyais que Freud recommandait l’usage de la cocaïne en tant qu’anesthésiant pour une opération des yeux, et c’est tout. Onfray révèle que, dans l’article de Freud « Sur la cocaïne » (1885), il s’agit de l’utilisation de cette drogue pour soigner l’hystérie et aussi l’addiction aux autres drogues ! Cet article n’est pas inclus dans l’œuvre complète de Freud, on ne le mentionne jamais dans les thèses. Cependant, il y avait eu une victime des idées prônées dans l’article, un morphinomane, Fleiscle-Marxow, ami de Freud, mort après avoir été soigné par des injections de cocaïne.

La démarche de Freud n’était pas scientifique mais pouvait-elle l’être ? Le domaine du psychisme est énorme, la vie de l’homme (dormant, en plus…) si mystérieuse. C’était déjà beaucoup, de s’interroger sur la nature du rêve ; et ceci malgré le mépris de la culture dominante, catholique qui suivait l’interdiction de prêter attention aux rêves (et ceci en dépit d’une grande place accordée aux rêves dans les Evangiles). L’intuition de Freud, talmudique – quant à sa sensibilité aux choses cachées, à son goût pour l’interprétation – a rendu « ses niveaux » et « ses étages » à l’âme humaine (on se souviendra de l’âme tripartite de l’apôtre Paul…), la libérant d’une plate et mécanique dépendance « morale + action = responsabilité».

Onfray ne voit pas, semble-t-il, la valeur de cette libération : il dénonce une dérive de l’humanisation opérée par le freudisme et la psychanalyse en général, – comme la relativisation du « normal » ; la norme est engloutie par la psyché moderne, vaste et imprévisible, enfin, compréhensible, grâce à la psychanalyse, donc, toujours pardonnable. C’est vrai ; mais, d’autre part, le public actuel ne se rend pas le dimanche après-midi dans les hôpitaux psychiatriques pour s’amuser des bizarreries des malheureux malades, – cette distraction encore normale au XVIII siècle, avec sa morale ferme, nous paraîtrait aberrante au XXIème, avec notre relativisme moral et autre. Onfray veut un monde plus réel, dit-il, plus souple ; plus plat, ajoutons-nous, plus saisissable et plus enseignable.

L’attaque massive de Onfray contre le freudisme est donc positive et assainissante sur plusieurs aspects ; elle démontre bien la prétention freudienne à repousser les religions, le christianisme et le judaïsme, pour installer sa doctrine à leur place, ce qui a beaucoup d’une révélation prophétique et lui même, d’un fondateur inspiré, d’un gourou. La passion de Onfray, rendant la lecture de son livre agréable et captivante, révèle aussi un composant secret de son analyse, – celui d’un jeune rival qui détrône le vieux monstre et « penseur dominant ». Onfray s’en prend à Freud comme Freud s’en prenait à Moïse…

Ni l’un ni l’autre ne peuvent cependant entrer dans le « vif de la religion » et saisir la connaissance particulière d’un croyant… Cette dernière sera donc déclarée inexistante, fruit d’une névrose, par Freud, privée de toute objectivité ; Onfray le suit dans cette approche ; il sera obligé de combattre Freud, pour se faire un peu de place… Gêné par l’ampleur et l’ambiguïté de l’athéisme freudien, Onfray cherche et, en partie, trouve des points faibles au maître… Le plus amusant, bien sûr, c’est une accusation implicite de Onfray concernant, un manque de puissance sexuelle chez Freud !

Par contre, le Moïse historique, leader du peuple, est très fort dès la première épreuve face aux prêtres égyptiens. Il s’agit du bâton qui, une fois jeté par terre, devient serpent… Repris par la main, il redevient bâton… À un lecteur russe viendra peut-être à l’esprit l’expression populaire « jeter un bâton » qui signifie précisément un acte sexuel accompagné de l’éjaculation ; ainsi cette compétition avec les prêtres sera privée, pour un russophone, de toute ambiguïté : il s’agit bien d’une compétition en force virile. Il est important d’ailleurs que Moïse soit remplacé, dans cette épreuve seulement, par Aaron, père d’enfants et possesseur d’un bâton de chef tribal.
Onfray souligne l’attitude archaïque, disons, catholique de Freud envers l’onanisme, y compris celui de l’enfance et de l’adolescence ; il se moque de ses recommandations pour combattre cette « pulsion maladive » avec de l’eau froide introduite par un cathéter. L’ironie du critique cède parfois au profit d’une compassion profonde envers ce Freud malade de son cancer et mourant exilé à Londres. À ce moment on comprend que le livre d’Onfray est aussi un couteau (peut-être, un silex…), avec lequel le philosophe coupe enfin le cordon ombilical… qui le liait encore à la mère (spirituelle…) nommée… Freud et le freudisme. Personnellement, je lirais, en tant que Russe et victime du communisme, avec beaucoup de plaisir l’histoire d’une autre rupture « libération » de Michel Onfray, celle d’avec le marxisme…. Hélas! Le philosophe en parle comme d’une chose privée (d’intérêt…) Il faut cependant rappeler aux Français que le freudisme était interdit en Urss ; presque tous les psychanalystes ont été arrêtés par le KGB (notre Gestapo russe) et ont disparus dans le Goulag.

Nicolas Bokov

Paris

Wednesday, August 18, 2010

Maïa Brami a lu "Opération Betterave" de Nicolas Bokov


Avec "Opération Betterave" (Edition Noir sur Blanc), on est plus dans l'esprit "Tontons flingueurs", complètement absurde, que dans un John Le Carré ! Vos espions russes sont drôlissimes et la Palme de l'ingéniosité revient sans doute au couple Bond/Arenko — très contemporain.

Il me semble que l'intrigue n'a pas vraiment d'importance. Elle sert plutôt votre critique sociale. D'ailleurs, comment croire que votre Hercule noir se fasse avoir comme un bleu ? Difficile également de se transporter avec votre pianiste japonaise devant le Mont Fuji, un couteau à la main !

En fait, vous avez écrit un pastiche… très fleur bleue, si je puis me permettre : mais l'amour et les beaux sentiments ont-ils leur place dans ce genre de bouquin ? La tendresse colore vos descriptions d'un certain kitch — "Elle semblait à Gaston M'ba un oiseau de paradis venu des Tropiques de son enfance jusque dans la froidure du Nord, dans la lointaine Gaulle… La peau de Gaston, lustrée comme celle d'un cheval, exhalait une douce chaleur…" (p. 34) et plus loin, alors qu'ils se donnent l'un à l'autre pour la première fois : "(…) l'artisan des cieux avait façonné son chef-d'oeuvre à partir d'elle et de lui, triomphant miraculeusement de leurs dissemblances, unissant la fleur à la falaise, les ailes de papillon à la pierre noire dans un même plaisir." — et à traiter seul l'amour entre Tamiko et Gaston au premier degré, on ne sait plus trop sur quel pied danser !

En tout cas, j'imagine bien le plaisir que vous avez dû éprouver à jongler entre les personnages (et avec les jeux de mots), à ridiculiser votre chère Russie (enfin, en partie) et à vous glisser dans la peau d'un "vigoureux" colosse africain… (adjectif qui me rappelle un certain nom de plume !)

Une dernière chose : on sent en vous l'envie, non seulement de vous amuser, mais de dépasser une certaine noirceur — vos années d'opposant politique, votre souffrance —, de faire un pied-de-nez à toute l'horreur qui nous entoure et d'avancer, réconcilié, optimiste (cf votre happy end). J'imagine que cet état d'esprit vient aussi peut-être de votre quête (cf la Conversion), qui vous permet aujourd'hui un certain détachement, d'envisager le monde avec d'autres yeux. J'extrapole sans doute…

Monday, August 09, 2010

Pionniers de la troisième émigration russe: William Brui

pour agrandir cliquer sur l'image